GAUCHEBDO (Malik Berkati – 19/01/2017)

Les néonazis d’Aube dorée sous la loupe

FILM • La journaliste Angélique Kourounis sort le film «Aube dorée: une affaire personnelle», résultat de longues années d’enquête sur le parti d’extrême droite grec. «La crise n’explique pas à elle seule Aube dorée», analyse-t-elle. Interview dans le cadre du Hellas Filmbox Berlin (festival du film grec de Berlin).

Angélique Kourounis enquête de longue date sur l’organisation du parti grec Aube dorée, troisième force politique du pays, qui véhicule une idéologie néonazie soutenue par une structure paramilitaire et la culture de la violence. La réalisatrice explore le sujet à la 1ère personne, mue par son propre parcours, d’où le sous-titre, une affaire personnelle. Mais à la fin du générique, une chose apparaît clairement au spectateur: cette affaire personnelle est l’affaire de tous…

Quelle a été votre intuition vous amenant à penser que ce parti ne resterait pas marginal?

Angélique Kourounis Je n’ai absolument pas eu d’intuition, simplement, quand je suis arrivée en Grèce il y a 28 ans, j’ai été scotchée par ce que je voyais dans les kiosques à journaux avec des publications d’un racisme, d’un sexisme, d’un antisémitisme, d’une vulgarité absolument inimaginables. J’avais interviewé le responsable d’un de ces journaux qui m’avait expliqué que c’était acceptable au nom de la liberté de la presse. Aube dorée était proche de ce journal, c’est comme cela que je les ai approchés. Mais à l’époque c’était 0,1% de voix, jamais je n’aurais imaginé qu’ils deviennent la 3è force du pays!

Quelles sont les racines de ce parti, est-il un turion historique de la politique grecque?

L’antisémitisme en Grèce est quelque chose de très compliqué. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il y avait d’un côté un antisémitisme clair et d’autre part des actions héroïques d’individus mais aussi d’institutions pour essayer de protéger les Juifs grecs. Un antisémitisme moins évident se cache dans le sentiment anti-israélien, je ne dis pas pro-palestinien mais anti-israélien ce qui n’est pas pareil, au sein de la gauche. La plupart des Grecs ont une conscience historique pour eux qui dit «on est venu en aide aux populations», mais ils oublient de dire qu’on a eu nos «chemises noires», nos collabos et Aube dorée est de cette lignée.

L’explication la plus commune pour définir le succès de ce parti se rapporte à la crise…
Je pense que c’est une erreur de dire que la crise explique à elle seule Aube dorée. La meilleure preuve est qu’il y a des gens extrêmement aisés qui n’ont pas perdu leur travail mais pensent que seul le parti Aube dorée peut sauver le pays – «les autres partis sont terminés», comme le dit une avocate militante dans le film. Cela veut dire qu’elle a essayé d’aller dans les autres partis. Je pense qu’Aube dorée bénéficie non pas tant de la crise que du profond dégoût d’une grande majorité de Grecs de leur classe politique.

D’après vous, est-ce que ce parti s’est implanté durablement dans le paysage politique grec?

J’inverse le problème: pourquoi des gens comme Madame Stella (une Athénienne paupérisée par la crise, ndlr) préfèrent aller à la distribution de nourriture des néonazis plutôt qu’à celles des différentes structures de solidarité de la gauche? Voilà la vraie question. Quand on y aura répondu, on pourra mettre en place une stratégie pour faire face à Aube dorée. Je ne sais pas s’ils sont là pour durer mais ce qui semble clair, c’est que nous sommes dans une dynamique historique en faveur de l’extrême droite en Europe. Tout ce qui était de l’ordre de l’exception est devenu la normalité. On ne peut faire qu’un constat: la gauche est morcelée comme elle ne l’a jamais été, la droite est aussi divisée mais l’extrême droite est unie et lorsque les gens se demandent s’ils vont aller voter aux prochaines élections dans leurs pays respectifs, et bien ceux de l’extrême droite ont tous voté à 10 heures du matin!

Les médias font-ils leur travail face à Aube dorée?
Les médias en Grèce ne sont pas, pour la majorité d’entre eux, un 4è pouvoir. Je vous renvoie à cet égard à mon article pour le journal Le Monde intitulé «J’ai mal à la Grèce» (disponible sur Internet, NDR). Les principaux médias se sont parfaitement accommodés de la situation et portent une grande responsabilité: on savait que des gens se faisaient castagner, avaient frôlé la mort, que des gens de couleur ne pouvaient pas marcher dans certaines rues, mais à cette époque-là, la majorité de la presse considérait Aube dorée comme un parti normal. J’aimerais citer une femme, Xenia Kounalaki, qui travaille dans un journal de droite mais qui a pris des risques en dénonçant Aube dorée, ce qui lui a valu des menaces de viol. Elle a été une des premières à s’exprimer sur ce parti – même si elle n’est pas la seule, il y a aussi Dimitris Psarras avec son livre sur Aube dorée (Aube dorée: Le livre noir du parti nazi grec, ndlr) – et elle n’a pas été soutenue. Il a fallu la mort de Pavlos Fyssas (rappeur grec assassiné en 2013, ndlr) pour que des gens qui étaient fréquentables deviennent des nazis dans la presse.

Vous dénoncez la connivence de la police et de la justice…
Il faut tirer son chapeau à Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Il est venu en Grèce en janvier 2012, au moment où Aube dorée était à son apogée de violences. Il a remonté les bretelles comme jamais personne ne l’avait fait auparavant à un Premier ministre en disant que l’impunité de la police vis-à-vis des attaques racistes, que la lenteur de la justice vis-à-vis des affaires, des dénonciations, des attaques racistes devaient cesser. Il est revenu en 2016 avec un deuxième rapport en parlant d’avancements mais que les choses pouvaient encore être améliorées.

Vous avez reçu des menaces pour ce film?

On a eu des menaces dès la campagne de crowdfunding. Au moment de la Première au festival de Thessalonique j’ai subi une agression. Nous avons aussi reçu des menaces téléphoniques, on a dû changer notre numéro – la dernière en date, c’est via Twitter où on m’a promis une balle dans la tête. Ce sont des gens qui règlent leurs problèmes par la violence, ce n’est donc pas étonnant. Je ne circule plus seule le soir à Athènes car ces gens sont d’une extrême lâcheté, leurs victimes n’ont jamais été des gens de force égale.

Une programmation de votre documentaire est-elle prévue à la télévision grecque?

On a été extrêmement surpris de voir ERT, la télévision nationale grecque, diffuser en direct pour la première fois, dans sa totalité, la cérémonie aux flambeaux d’Aube dorée aux Thermopyles qui a lieu chaque année. Comme ils nous avaient dit lors du festival de Thessalonique du mois de mars qu’ils étaient intéressés par la diffusion de notre film, je les ai rappelés. Et là, la réponse qu’ils m’ont donnée non par écrit mais oralement, je cite: «ERT n’a absolument aucun intérêt à retransmettre votre film». Pour moi, c’est clairement un choix politique (Nous avons contacté ERT pour leur demander une explication sur cette décision, ils ne nous ont pas répondu, ndlr).

Une projection du film est prévue prochainement à Zürich. Il tournera en France et dans les réseaux associatifs. Pour connaître les conditions de diffusion:https://goldendawnapersonalaffair.com
Le film est mis à disposition des écoles gratuitement.